Coalition Arizona : les aînés sont inquiets pour les petites et moyennes pensions

02/07/25

Énéo a récemment réalisé une étude approfondie sur les mesures annoncées dans le cadre de la future réforme des pensions. Alors que les débats publics se concentrent principalement sur les impacts pour les pensions les plus élevées, Énéo souhaite attirer l’attention sur les personnes percevant une pension faible ou moyenne, particulièrement nombreuses parmi les femmes et les travailleurs précaires.

À compter du 1er juillet, le report de l’indexation des pensions entrera en vigueur. Cette mesure, qui consiste à retarder l’ajustement des pensions à l’évolution du coût de la vie, aura des conséquences concrètes pour de nombreux retraités. Selon les estimations d’Okra, notre organisation partenaire néerlandophone, ce report pourrait représenter une perte d’environ 70 € pour une pension moyenne. 

Mais ce n’est pas la seule source de préoccupation. La suppression de l’enveloppe bien-être pour la période 2025-2029 – en particulier le gel de la revalorisation de certaines anciennes pensions – risque de pénaliser encore davantage les personnes dont la carrière s’est déroulée à une époque où les salaires étaient plus bas.  

Ces deux modifications risquent donc d'aggraver les inégalités en matière de pension si elles ne sont pas menées avec la plus grande prudence. Les aînés avec des faibles ou moyennes pensions paieront le prix fort des économies souhaitées. En parallèle, le gouvernement prévoit de diminuer les rentrées financières de la sécurité sociale en plafonnant les cotisations patronales pour les plus hauts salaires. Énéo s’interroge sur la cohérence de cette mesure.  

Pour Énéo, il est impératif de rappeler que les pensions ne doivent pas être considérées uniquement comme une charge budgétaire, mais comme un pilier essentiel de la sécurité sociale. Comme le souligne Sylvie Dossin, secrétaire politique du mouvement : « Derrière les pensions, il y a des personnes. Il s’agit avant tout de permettre à chacun de vivre dignement, de se soigner, de se loger, de maintenir un lien social et de participer à la vie collective. » 

Dans ce contexte, Énéo plaide avec force pour une société inclusive, où vieillir ne rime ni avec précarité, ni avec isolement.
Le mouvement appelle les décideurs à : 

  • garantir des pensions légales suffisantes et indexées, 
  • veiller à leur accessibilité sans condition excessive,
  • préserver le rôle fondamental du premier pilier dans la lutte contre la pauvreté et le maintien de la cohésion sociale.  

À la suite de la déclaration de politique générale du gouvernement fédéral, Énéo, en tant que mouvement social des aînés le plus important de la fédération Wallonie Bruxelles (35.000 membres), a réalisé une analyse détaillée des mesures annoncées concernant la future réforme des pensions.

Cette étude fera l’objet d’échanges et de débats dans le cadre des animations en éducation permanente organisée au sein d’Énéo dans les mois qui viennent, notamment à Liège et à Bruxelles en septembre et octobre. 

Découvrir l'étude : L'Arizona et les pensions - Un accord de gouvernement sous la loupe

 

Points clés de l’étude Énéo

L’Arizona et les pensions : un accord de gouvernement sous la loupe

Une vaste réforme des pensions, volet essentiel de la sécurité sociale, est au cœur de l’effort budgétaire annoncé par le gouvernement fédéral dans son accord de gouvernement 2025-2029.

Énéo est un mouvement social des aînés, actif en Wallonie et à Bruxelles, qui promeut l'engagement citoyen et la solidarité intergénérationnelle. Il rassemble 35.000 membres et volontaires, engagés dans la vie sociale, culturelle et politique. À l’approche des élections, Énéo a rédigé un mémorandum pour faire entendre la voix des aînés dans les décisions politiques, en s’appuyant sur ses valeurs : solidarité, autonomie, justice sociale et participation. Parmi nos priorités figure la pérennité de notre sécurité sociale, aujourd’hui mise à l’épreuve par le vieillissement de la population, les inégalités sociales et la situation budgétaire.

Nous avons donc choisi de rédiger une étude sur la portée de cette réforme, au regard des préoccupations identifiées dans le mémorandum. Quel modèle de société ces mesures dessinent-elles ? Quels sont les risques pour les femmes, les travailleurs âgés ou les personnes vulnérables ? Face à ces enjeux sociaux et budgétaires, cette étude chercher à porter un autre regard sur les pensions et la place des ainés dans notre société.

Sept points d’attention sont défendus :

En résumé : Énéo défend  une politique qui valorise la contribution des aînés.

Énéo rappelle que les aînés ne sont pas des personnes à charge, mais des acteurs à part entière de la société. Ils s'investissent dans le bénévolat, la solidarité familiale, la transmission intergénérationnelle. Ils méritent reconnaissance, soutien et droits. Une politique sociale juste ne doit pas opposer les générations, mais les unir autour de principes communs. La pension est un droit conquis collectivement et non une charge à réduire.

1. Défendre une pension digne, un premier pilier fort et les mécanismes de solidarité dans le calcul des pensions

Le gouvernement souhaite renforcer le lien entre le travail et les droits à la pension. Pour cela,

  • Parmi les périodes non-prestées mais ‘assimilées’ (des périodes de maladie, chômage, congés pour soins, congé de maternité, congé parental etc. qui sont tout de même prises en compte pour les pensions), les périodes de chômage, de RCC et d’emploi de fin de carrière qui dépassent 20 % de la carrière ne seront plus prises en compte pour les pensions. Et les périodes assimilées prises en compte le seront sur base d’un calcul moins favorable que le calcul actuel.  Les personnes avec davantage de périodes de chômage auront donc un niveau de pension plus faible  ;
  • L’enveloppe bien-être (budget alloué depuis 2005 tous les deux ans pour éviter un décrochage des allocations les plus basses par rapport au niveau de vie) sera supprimée : cela constitue une rupture forte avec une tradition de dialogue social en matière d'ajustement des pensions et allocations sociales. Cette enveloppe permettait d'éviter que les pensions les plus basses ne décrochent par rapport aux salaires. Elle devrait être remplacée par un nouveau dispositif, dont le montant sera moins important. Sa disparition risque d'accentuer la précarité des pensionnés les plus fragiles.

Pour Énéo, les pensions sont essentielles pour garantir à chacun une vie digne, quelle que soit la trajectoire professionnelle ou l’état de santé. Une pension légale décente est une condition essentielle du vieillissement actif et épanoui.

2. Reconnaître les inégalités de genre et les corriger

Les femmes ont une pension en moyenne 21% plus basse que celle des hommes. Si on ne prend que la pension légale, l’écart est de 17 % mais de 53 % lorsqu’il s’agit des pensions complémentaires (chiffres statbel 2023). Cet écart de pension entre les hommes et les femmes résulte de parcours de vie marqués par les temps partiels, les interruptions pour soins, les discriminations salariales, qui impactent ensuite les pensions.

Des dispositifs ont été mis en place pour assurer une solidarité au sein de la famille, entre conjoints (pension de survie en cas de décès d’un des conjoints, pension au taux ménage en cas de revenus très faibles d’un des deux conjoints, etc.). Ces dispositifs protègent en grande majorité les femmes mais ils présentent des incohérences et ne sont plus adaptés aux nouvelles réalités (ils ne reposent par exemple que sur le mariage, pas sur la cohabitation légale). Le gouvernement envisage donc de les réformer :

  • supprimer la pension de survie à moyen terme pour la remplacer par l’allocation de transition, qui est limitée dans le temps mais peut être entièrement cumulable avec des revenus du travail
  • supprimer la pension à taux ménage et pension de conjoint divorcé à moyen terme
  • encourager les partenaires à prévoir un partage des pensions (splitting) dans les contrats de mariage.

Ces réformes doivent encourager les femmes à se constituer leur propre droit de pension mais, tout comme celle touchant aux périodes assimilées, elles risquent d'aggraver les inégalités de genre en matière de pension si elles ne sont pas menées avec la plus grande prudence. Les femmes qui ont peu ou jamais travaillé pour prendre en charge les soins aux enfants seront les premières pénalisées.

3. Rendre les carrières soutenables, pas seulement plus longues

Pour favoriser le financement durable de notre système de pension, la durée des carrières doit être suffisamment longue. Or, l’âge de départ effectif à la pension reste assez bas en Belgique (autour de 61-62 ans selon les chiffres OCDE de 2021). Pour allonger la durée des carrières et renforcer le lien entre le travail et les pensions, le gouvernement annonce :

  • un durcissement de l'accès à la pension anticipée : remplir les conditions de carrière (actuellement de 41,42,43 ou 44 ans de carrière selon l’âge auquel on veut partir) sera plus compliqué. Il faudra avoir travailler 6 mois plutôt que 4 pour qu’une année ‘compte’ pour cette condition de carrière. Certains pourraient perdre une année complète suite à cette mesure (l’année après les études, qui débute souvent en septembre, ne comptant que 4 mois).
  • l’introduction d’un bonus-malus, remplaçant le bonus mis en place par le gouvernement précédent. Ceux qui partent à la pension anticipée mais qui n’ont pas ‘suffisamment’ travaillé effectivement seront pénalisés financièrement, tandis que ceux qui continuent de travailler après l’âge légal de la pension et ont travaillé ‘effectivement’ assez durant leur carrière auront un bonus financier ;
  • le durcissement des conditions d’accès aux emplois de fin de carrière, qui permettent une transition douce entre fin de carrière et départ à la pension et leur suppression des RCC ;
  • la disparition des tantièmes préférentiels et coefficients de majoration qui permettent aux fonctionnaires de partir plus tôt à la pension.

La mesure permettant de prendre en compte les carrières longues (droit à la pension anticipée à 60 ans si on a 42 ans de carrière) est positive et répond aux difficultés de ceux qui ont commencé à travailler jeune (ex : 18 ans) pour tenir jusqu’à 67 ans, souvent après un métier lourd. Mais les conditions sont si strictes que cette mesure risque de ne pas concerner beaucoup de monde.

Augmenter le taux d’emploi des travailleurs âgés et encourager à travailler ceux qui le peuvent jusqu’à l’âge légal de la pension est essentiel pour maintenir un financement durable des pensions. Le taux d’emploi des travailleurs âgés a par ailleurs déjà fortement progressé (taux d’emploi des 55-64 ans : il est passé de 26,3 % en 2000 à 60 % en 2024) (chiffres Statbel) mais des efforts sont encore nécessaires.

Pour autant, l’accord de gouvernement semble tabler sur une capacité théorique de chacun à travailler jusque 67 ans, indépendamment de son passé professionnel et de son parcours personnel. Les personnes ayant eu des carrières pénibles, fragmentées ou interrompues, les femmes, les malades, les aidants, les travailleurs peu qualifiés risquent d’être davantage sanctionnés par les dispositifs annoncés ci-dessus. Dans des secteurs avec des métiers plus lourds, près de 60 % des travailleurs des secteurs de la construction et de la logistique et transport par exemple partent avant l’âge légal.  Le marché de l’emploi et les stéréotypes encore bien présents n’encouragent pas non plus les travailleurs âgés de se réinsérer sur le marché de l’emploi ou de s’y maintenir : à peine 9 % des nouvelles embauches concernaient des personnes de plus de 50 ans en 2022. Et les 59-64 ans sont surreprésentés dans les fins de contrats et les licenciements pour raisons économiques. (Revue économique, décembre 2023)

Énéo recommande donc une approche fondée sur des mesures ambitieuses en matière d’adaptation des conditions de travail, de prévention, de formation des travailleurs âgés, de flexibilité des parcours, de lutte contre les stéréotypes envers les travailleurs âgés et de prise en compte de la pénibilité de certains métiers. Elles sont indispensables pour maintenir les travailleurs âgés à l’emploi et contribuer à leur participation sociale. De telles mesures n’apparaissent pas suffisamment dans la déclaration de politique générale. 

4. Défendre un modèle de société solidaire et inclusif

La situation budgétaire complexe, le vieillissement et les évolutions sociétales interrogent la façon dont notre système social peut s’adapter pour être à la fois protecteur de chacun, dans la diversité des parcours de vie, et soutenable financièrement. Le gouvernement, face à l’ampleur des enjeux budgétaires, concentre dès lors ses actions sur la réduction des dépenses publiques en matière de pension.

Dans ce contexte où le discours se durcit à l’égard des « inactifs », où les prévisions budgétaires sont sombres et les réformes annoncées douloureuses, les ainés et futurs ainés s’inquiètent: leur pension va-t-elle diminuer ? Les pensions de leurs enfants et petits-enfants seront-elles suffisantes pour vivre dignement ?  Que deviendra leur conjoint en cas de décès ?  Les travailleurs âgés sont aussi sous pression : quand pourront-ils partir à la retraite ? Seront-ils encore en état de travailler jusque-là ?

Face à ces inquiétudes, Énéo rappelle le rôle actif des ainés dans la société, qu'il soit économique, social, culturel ou familial. Énéo défend une société inclusive, où vieillir ne signifie ni exclusion ni précarité. Ces autres enjeux, de participation, d’inclusion, de dignité, sont également prioritaires.

5. Porter un autre regard sur les contraintes budgétaires

La population belge vieillit, passant de 3,6 personnes d’âge actif pour un ainé en 2023 à 2,4 personnes d’âge actif pour un ainé en 2070 (Statbel, Bureau fédéral du plan, Perspectives démographiques 2023-2070). Cela a inévitablement pour conséquence une augmentation importante des couts du vieillissement (dont les pensions, les soins de santé, etc.). Sans remettre en cause ce constat ni le besoin d’apporter des réponses aux défis soulevés par le vieillissement de la population, Énéo souligne que ces défis ne sont pas uniquement budgétaires mais également sociaux. Quelle place accorde-t-on, et accordera-t-on, aux ainés dans notre société ? Les pensions sont une dépense sociale lourde pour l’Etat mais dont l’impact est structurant sur la cohésion sociale. Une vision des pensions réduite à leur poids financier passe à côté de leur rôle social et sociétal fondamental. Leur valeur ne peut se mesurer uniquement en termes budgétaires.

Les dépenses de pensions plus élevées en Belgique que dans d’autres pays européens sont aussi le reflet des choix politiques qui ont été fait en faveur d’un système de pension reposant en priorité sur le premier pilier, fondé sur la répartition et la solidarité intergénérationnel, plutôt que sur des systèmes par capitalisation (deuxième et troisième pilier) que sur les deuxièmes et troisièmes piliers. C’est une orientation que Énéo défend pleinement.

Les mesures annoncées par le gouvernement risquent d’affaiblir la portée de ce premier pilier, en particulier pour ceux qui ont eu une carrière hachée. Énéo appelle à garantir des pensions légales suffisantes, indexées, et accessibles sans condition excessive. Le premier pilier doit rester un outil de lutte contre la pauvreté et un levier de cohésion sociale.

6. Pour un financement juste et durable de la sécurité sociale

Comment la sécurité sociale peut-elle s’adapter face aux défis du vieillissement et aux transformations du marché du travail ?  Comment assurer son financement sans remettre en cause les droits acquis ? L’accord de gouvernement annonce des efforts importants portés en priorité par les personnes "inactives", dont les pensionnés et futurs pensionnés qui connaissent ou ont connu des emplois précaires, des carrières hachées ou de longues périodes d’inactivité. Mais depuis des années, la part des cotisations sociales dans le financement de la sécurité sociale belge a connu une diminution significative, principalement en raison des politiques de réductions de cotisations et de l'introduction d'avantages extra-légaux, sans garantie que celles-ci soient compensées par une hausse correspondante de l’emploi.

Ce constat appelle une réflexion globale sur les ressources de la sécurité sociale. Il ne s’agit pas seulement de faire des économies, mais de garantir à long terme un système robuste, capable de répondre aux besoins croissants liés à l’âge, à la santé, ou aux parcours professionnels discontinus. Pour Énéo, cela suppose de renforcer les cotisations sociales, de mieux encadrer les exonérations, de lutter contre les formes de sous-financement structurel, et d’élargir les sources de financement, notamment via une fiscalité plus juste. Adapter le financement aux évolutions démographiques et aux nouvelles formes d’emploi est indispensable pour préserver une protection sociale efficace et solidaire, au bénéfice de tous les citoyens — et en particulier des aînés.

7. Ne pas déléguer la solidarité aux mécanismes privés

Le gouvernement De Wever poursuit l’objectif du gouvernement précédent d’un minimum de 3 % du salaire brut comme contribution de l’employeur d’ici 2035 pour les pensions complémentaires.  Le renforcement du deuxième pilier (pensions complémentaires) pourrait constituer une des réponses face aux faiblesses du premier pilier (en particulier son taux de remplacement trop faible). Mais ces pensions complémentaires dépendent fortement de l'employeur et ne corrigent pas les inégalités sociales. Les montants d’épargne constitués sont également répartis de façon très inégalitaire, entre travailleurs et entre hommes et femmes : la moitié des travailleurs affiliés à une pension complémentaire ont épargné moins de 3.586€ (moins de 4.693€ pour les hommes et moins que 2.419€ pour les femmes) (Pensionstat, situation au 1er janvier 2024). Enfin, elles ont également un cout pour l’Etat (avantages fiscaux).

Pour Énéo, la généralisation des pensions complémentaires soulève de nombreuses questions et inquiétudes, quant à l’efficacité des pensions complémentaires de garantir à chacun un niveau de vie décent et quant au risque de participer à l’affaiblissement du premier pilier.

Découvrir l'étude : L'Arizona et les pensions - Un accord de gouvernement sous la loupe

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